Glyphosate : un vote entre usages, controverses et alternatives

Depuis la commercialisation dans les années 1970 du Roundup de Monsanto, le glyphosate est devenu un herbicide incontournable. Omniprésent dans les champs et l’espace public, il s’est imposé comme un pesticide indispensable à travers le globe. Cependant, son usage est au cœur de nombreuses controverses : tandis que l’OMS a classé le glyphosate « probablement cancérogène pour l’homme », l’Autorité européenne de sécurité des aliments et l’Agence européenne des produits chimiques ont publié des avis contraires. C’est dans ce contexte trouble et tendu que l’Union européenne doit se prononcer sur le renouvellement de son autorisation d’utilisation.

Pourquoi le glyphosate est-il si utilisé ?

Le glyphosate s’est imposé au fil du temps, jusqu’à devenir le produit le plus employé par les agriculteurs. Bon nombre d’entre eux affirment en effet ne pas pouvoir s’en passer. Pourquoi un tel succès ?

Une efficacité redoutable

Contrairement à de nombreux herbicides, le glyphosate a la particularité de s’attaquer à un large éventail de plantes. Il agit en inhibant une enzyme essentielle dans la croissance de celles-ci, entraînant leur élimination. Même les mauvaises herbes les plus tenaces n’y résistent pas. Véritable herbicide total, sa polyvalence lui permet de tuer la plupart des végétaux avec lesquels il entre en contact.

La facilité d’utilisation

Un autre atout majeur du glyphosate est sa simplicité de manipulation. Il peut être pulvérisé directement sur les parcelles, sans matériel spécialisé, et de nouvelles plantes peuvent être semées dès le lendemain. De quoi le rendre très attractif pour les agriculteurs. De plus, l’utilisation de cultures génétiquement modifiées résistantes à cette substance leur permet de traiter leurs champs sans risque.

Un coût abordable

Comparé à d’autres herbicides, le glyphosate offre un excellent rapport qualité-prix. Il est même devenu très bon marché depuis que son brevet est passé dans le domaine public en 2000. Sa grande efficacité permet aussi de réduire les coûts liés à d’autres techniques de désherbage, souvent plus onéreuses en termes de main-d’œuvre et d’équipement. Pour les agriculteurs, le produit de Monsanto représente donc une option particulièrement attrayante économiquement.

Une large adoption en Europe

Toutes ces caractéristiques font que l’Europe n’a pas échappé à l’engouement pour le glyphosate. Entre 2011 et 2017, il a été utilisé sur environ un tiers des surfaces de blé et la moitié des surfaces de colza du continent. Des chiffres qui témoignent de son importance pour de très nombreux agriculteurs européens qui dépendent de cet herbicide pour lutter contre les mauvaises herbes et surtout, maximiser leurs rendements.

La France en première ligne

La France se distingue particulièrement, étant l’un des premiers acheteurs de glyphosate en Europe. Cela s’explique par l’importance de l’agriculture dans l’économie française et la large surface cultivée en blé et colza, les deux principales cultures du pays. Cependant, le débat sur ce produit y est très animé, avec des appels récurrents à réduire ou interdire son utilisation.

Redoutablement efficace, simple d’utilisation, bon marché et adapté à une grande variété de cultures, le glyphosate s’est naturellement imposé comme l’outil indispensable des agriculteurs. Toutefois, cette popularité s’accompagne d’inquiétudes et de polémiques sur ses effets sur la santé humaine et l’environnement.

Quelles sont les controverses autour du glyphosate ?

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De nombreuses études mettent en lumière les effets délétères du glyphosate sur la santé et l’environnement | Crédit photo : DOMINIKJPW via unspash.com

L’avis de l’OMS et de l’INSERM

Le point de départ des controverses autour du glyphosate remonte à 2015 lorsque le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), une branche de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), a classé la substance comme « probablement cancérogène pour l’homme ». En 2021, un groupe d’experts de l’INSERM a, de son côté, conclu à « l’existence d’un risque accru de lymphomes non hodgkiniens avec une présomption moyenne de lien » avec le glyphosate. Ces conclusions préoccupantes poussent ainsi 70 % de la population française à souhaiter l’interdiction de la molécule en Europe, selon un récent sondage Ipsos.

Les pratiques controversées de Monsanto

Les préoccupations autour du glyphosate ont été renforcées par les scandales à répétition qui ont frappé le groupe américain Monsanto. En 2017, les « Monsanto Papers » ont de fait mis en lumière les pratiques douteuses de la firme américaine (désormais filiale de Bayer AG) : manipulation de données scientifiques, dissimulation d’informations aux autorités, intimidation de chercheurs, et surtout incertitudes sur la dangerosité de la substance. Tout ça dans le but de protéger son produit phare, le Roundup.

Des études scientifiques contradictoires

La question des effets du glyphosate sur la santé divise au-delà du grand public. L’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) et l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) expliquent ainsi de leur côté que le désherbant n’est ni cancérogène ni mutagène, en contradiction avec le CIRC. Or, ces conclusions s’appuient majoritairement sur des études fournies par les industriels et n’évaluent pas les produits qui contiennent du glyphosate, mais la molécule seule, excluant également de nombreuses expertises scientifiques solides (dont celle de l’INSERM).

Les liens entre glyphosate et effets délétères la santé

En plus de l’incidence du désherbant sur la survenue de lymphomes non hodgkiniens, l’INSERM a établi une présomption « faible » de lien entre le glyphosate et le myélome multiple, un cancer de la moelle osseuse, ainsi qu’avec des leucémies et des troubles respiratoires. Même si d’autres études n’ont pas confirmé cette association, de nombreux plaignants atteints de cancer ont eu gain de cause devant les tribunaux aux États-Unis.

Par ailleurs, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale s’est également inquiété des effets d’une exposition au glyphosate durant la grossesse. La reconnaissance par le Fonds français d’indemnisation des victimes de pesticides, le lundi 9 octobre 2023, d’un lien entre la molécule et les malformations prénatales vient légitimer une telle préoccupation.

D’autres pistes sont actuellement explorées : le produit de Monsanto pourrait aussi être un perturbateur endocrinien et causer des dommages neurotoxiques. Des études sur ses effets sur le système immunitaire sont également en cours.

Le glyphosate soulève donc de nombreuses questions sur sa dangerosité et ses répercussions sur l’homme. Pourtant, bon nombre d’agriculteurs et les puissants lobbys du secteur ne jurent que par lui.

Existe-t-il des alternatives à l’utilisation du glyphosate ?

L’absence d’alternative chimique

Jusqu’à présent, le glyphosate n’a pas de concurrents en termes d’efficacité et de polyvalence. Malgré des années de recherche, aucune substance n’est encore capable d’agir sur une aussi vaste gamme de mauvaises herbes sans affecter les cultures que le produit de Monsanto.

Les solutions non chimiques

Face aux inquiétudes grandissantes, de nombreux agriculteurs se tournent vers des méthodes non chimiques pour lutter contre les mauvaises herbes. Parmi celles-ci, on trouve le labourage mécanique, l’utilisation de couvertures végétales pour étouffer la croissance des plantes indésirables ou encore la diversification des cultures pour « casser » les cycles des mauvaises herbes et des maladies. Ces alternatives permettraient de développer une agriculture plus respectueuse de l’environnement et de la biodiversité, mais sont parfois difficiles à mettre en œuvre, notamment lorsque l’emploi d’outils mécaniques n’est pas possible en raison des sols (présence de cailloux, terrains en pente).

Certaines méthodes non chimiques offrent ainsi l’espoir d’une agriculture plus durable. Mais la transition vers ces alternatives n’est pas sans défis pour les exploitants. Dans ce contexte, la position de l’Union européenne est examinée de près.

Quelle importance revêt le vote de l’UE sur le glyphosate ?

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Le vote de l’UE à Bruxelles sur le glyphosate sera déterminant pour l’avenir de l’agriculture | Crédit photo : Guillaume Périgois via unsplash.com

L’autorisation d’utilisation du produit phare de Monsanto prend fin en décembre 2023. L’UE doit donc statuer sur son renouvellement, souhaité par la Commission européenne, pour une durée de dix ans. Le 13 octobre dernier, la majorité requise pour adopter ou rejeter la proposition n’a pas été atteinte. Cette dernière sera donc remise au vote le 16 novembre prochain, et les enjeux sont multiples.

Des enjeux économiques, environnementaux et sanitaires

Le glyphosate a révolutionné l’agriculture européenne, en permettant aux exploitants de gagner du temps et de réduire les coûts. L’interdiction ou la restriction de son utilisation pourraient donc avoir des répercussions économiques significatives. En parallèle, la demande du public pour une agriculture plus respectueuse de l’environnement et de la santé est en forte croissance. Concilier tous ces enjeux paraît à l’heure actuelle bien difficile.

Un débat politique sensible

L’avenir du glyphosate en Europe est un sujet où les intérêts nationaux et régionaux se confrontent aux enjeux globaux. Les positions des États membres varient donc considérablement : certains soutiennent une interdiction totale, comme l’Allemagne (dont le poids lors du scrutin est conséquent), le Luxembourg ou l’Autriche, tandis que d’autres souhaitent son maintien en raison de ses avantages économiques. Dans ce contexte, le vote de la France pourrait permettre de rejeter la proposition.

La position de la France

Entre 2018 et 2019, la consommation de glyphosate en France a augmenté de 40 %. Cependant, conscient des préoccupations environnementales et de santé, le gouvernement français a décidé de prendre des mesures restrictives. Ainsi, depuis 2019, son utilisation est prohibée dans les espaces verts, les forêts, et les promenades accessibles au public.On aurait donc pu s’attendre à une position ferme de la France contre la prolongation du désherbant, d’autant plus qu’Emmanuel Macron s’était engagé, lors de la campagne de 2017, « à [l’] interdire […] dans les trois ans ». C’était sans compter sur le revirement annoncé début septembre par le ministre de l’Agriculture dans le journal Ouest-France : « On fait confiance à la science, aux études qui disent que le glyphosate ne pose pas un problème cancérogène. On va porter l’idée que sans l’interdire, car il y en a besoin, on peut quand même le réduire partout où cela est possible. » À noter que lors du vote du 13 octobre 2023 à l’UE, la France s’est abstenue.

En 2017, lors du précédent vote sur la molécule de Monsanto, l’engagement pris était de sortir du glyphosate au bout des cinq ans de réautorisation. Force est de constater que, malgré les progrès de la science sur la compréhension de ses effets sur notre santé et sur l’environnement, le contrat n’a pas été respecté. Reste à savoir si le contexte politique et économique actuel va enterrer les espoirs d’une agriculture plus durable pour les dix prochaines années.

Dorothée Berthon, rédactrice web SEO

Sources :